Heavy Rain : Interview de David Cage, PDG de Quantic Dream

 

Publié le Mercredi 23 septembre 2009 à 12:00:00 par Vincent Cordovado & Cedric Gasperini

 

Un homme qui n'aime pas être mis en cage

imageGamalive : Heavy Rain c'est quoi ? C'est un jeu ? C'est un film interactif ? Les deux à la fois?
 
David Cage : Ni l'un ni l'autre mon capitaine. Avec Heavy Rain, nous essayons d'arrêter de faire du jeu vidéo. Alors je m'explique, parce que les mals intentionnés vont dire "ça y est, il se la pète alors qu'il va faire du film". Non, pas du tout. C'est complétement intéractif. J'essaie complétement de sortir des codes du jeu. C'est un jeu dans lequel il n'y a pas d'arme, pas de voiture, pas de puzzle, pas d'ennemi, pas d'inventaire. Cela ne repose pas sur les codes traditionnels du jeu vidéo. Ce n'est pas pour un public enfantin ou adolescent comme beaucoup de jeux en ce moment. C'est un jeu qui s'adresse aux adultes, avec des thématiques adultes. Et nous essayons de le faire d'une manière adulte. Et ça, c'est essayer de sortir des codes du jeu, je crois. Ce n'est pas un film intéractif. Alors dans l'absolu c'est un film interactif, c'est à dire que c'est une histoire qui change en fonction de tes actions, mais quand on parle de film intéractif, les gens s'imaginent "d'accord, je vais regarder une cut-scene de 20 minutes, appuyer sur A ou sur B à un moment, puis il y aura un autre film de 20 minutes". Ce n'est pas cela Heavy Rain. On contrôle le personnage seconde après seconde et tout ce qu'on fait a des conséquences, et change la manière dont l'histoire se raconte.
 
Gamalive : Y-a-t-il plusieurs fins envisagées ? Ou est-ce juste une seule fin ?
 
David Cage : C'est plus que plusieurs fins. Il y a plusieurs manières d'arriver à différentes fins. C'est assez difficile à expliquer . C'est très naturel quand on y joue, qu'on enchaine les scènes, et que l'on voit comment se déroule le jeu. C'est évident. Mais c'est toujours un peu plus compliqué de le raconter. Mais tu as des actions qui peuvent avoir des conséquences et qui modifient l'histoire. Donc cela va modifier ton chemin. C'est vraiment choix après choix, tu construis ton histoire et ces chemins vont t'amener logiquement à une conclusion. Donc il y a plus que plusieurs fins, il y a plusieurs chemins menant à plusieurs fins.
 
Gamalive: Nous avons entendu parler d'une béta dans 10 jours ? Il s'agit d'une béta interne ?
 
David Cage : Oui, c'est évidemment en interne. C'est une étape importante dans le développement du jeu puisque c'est le premier moment dans lequel toutes les scènes sont présentes. On peut jouer le jeu du début à la fin dans un état de réglage et de finition qui permet d'apprécier correctement, le jeu. Ce n'est pas encore final. Il reste encore beaucoup de choses à faire. Autant en termes de réglages que de visuels. Mais on se rapproche tout doucement de la fin.
 
imageGamalive : Sa date de sortie est toujours prévue pour début 2010 ? Première moitié de l'année ?
 
David Cage : Ce sera définitivement pour la première moitié 2010. C'est certain.
 
Gamalive : Une petite question entre parenthèse. Qui est l'auteur de la musique ?
 
David Cage : Je ne peux pas répondre à cette question pour le moment. Il y aura une annonce qui sera faite dans les prochaines semaines qui viennent.
 
Gamalive : Dans la bande annonce de Cologne, et dans tout ce que l'on a pu voir dans le jeu, la musique participe énormément à l'ambiance .
 
David Cage : Bien sûr. Ce que je peux dire sur la musique, c'est qu'elle a été entièrement enregistrée avec un orchestre symphonique à Londres. Il y a 3 semaines de ça. J'ai évidemment assisté aux scéances d'enregistrement et c'est absolument extraordinaire . 75 musiciens qui ont joué pour moi tout seul. C'est un vrai bonheur d'être assis derrière le chef d'orchestre et d'en prendre plein les oreilles. Vraiment. Pendant les sessions, j'ai eu la chair de poule. C'est vraiment un drôle de cheminement. Parce que c'est une histoire que j'ai écrite il y a maintenant 3 ans, et de voir tout ce qu'elle implique, depuis le début. D'avoir écrit ça, d'avoir vu ses personnages passer du papier à l'écran, et maintenant entendre finalement, d'une certaine manière, leur musique. C'est quelque chose qui est assez émouvant. C'est un grand moment.
 
Gamalive : Cela représente donc 3 ans de travail Heavy Rain ?
 
David Cage : Oui c'est a peu près ca. Après Farenheit, en fait, nous avons passé pas mal de temps à travailler sur des protos techniques. Pour créer des acteurs virtuels. Développer un moteur Playstation 3 digne de ce nom. Vraiment, se reposer des questions. Nous ne somme pas pressés. Nous ne sommes pas là à nous dire "Il faut que nous sortions 10 jeux par an". Nous avons la chance, depuis la création de Quantic il y a 13 ans, d'avoir du temps. De trouver des gens qui nous font confiance et qui nous laissent faire ce que l'on a envie de faire. Donc nous prennons notre temps et ce n'est pas la course à l'échalotte, à savoir celui qui fera le plus de jeu. Il y a des tas de gens qui font beaucoup plus de jeux que nous. Nous, nous prennons le temps de les faire.
 
imageGamalive : Au niveau de vos relations avec Sony, ils vous laissent tranquille ou vous imposent des choses ?
 
David Cage : Je crois que quand on est éditeur, on ne peut pas signer un jeu comme Heavy Rain en se disant que l'on va dire au directeur créatif ce qu'il doit faire ou ne pas faire . Parce que si l'on est dans cette logique là, il ne faut pas faire ce jeu là. En tout cas, pas avec David Cage et pas avec Quantic Dream. Ce n'est pas que nous sommes des divas. C'est simplement antinomique avec ce que veut faire Heavy Rain. Heavy Rain est un jeu d'auteur. Je n'ai pas peur de le dire. C'est un jeu d'auteur avec des partis pris. Avec des vrais choix qui sont parfois totalement subjectifs. Pourquoi cette histoire et pas une autre ? Pour donner un exemple concret, voici une anecdote survenue quand je présentais Heavy Rain, au début. Le jeu se passe dans une ville sur la côte Est des Etats-Unis qui est assez déprimée. Cela peut être Philadephie ou même Boston. Certains éditeurs sont venus me voir en me disant "Pourquoi ton histoire ne se passe pas à Las Vegas ? Ouàa Miami ? Ce serait cool Miami". Et là tu sais que tu ne travailleras pas avec cet éditeur parce que, fondamentalement, tu sais qu'il n'a rien compris à ce que tu essayes de faire. Je ne cherche pas un décor de carte postale pour avoir des cocotiers, du soleil, la plage et les filles à poil. Il y a des tas de gens qui font ça très bien. Et ce n'est pas ce que l'on veut faire avec Heavy Rain. A partir de là, voilà. Tout en découle. Tu ne peux pas changer l'histoire comme tu veux. Parce que c'est un tout. C'est lié. Il y a une vision derrière. Une réflexion. Et tu ne peux pas prendre un bout et dire "ça je n'en veux pas, mettez moi autre chose à la place " parce que tu détruis tout en faisant cela. Donc, on a la chance avec Sony d'avoir trouvé un éditeur qui comprend cela. Qui le soutient. Et qui est vraiment derrière la vision de l'auteur. On a une vraie liberté de faire ce que l'on a envie de faire, comme on souhaite le faire. Avec des contraintes qui ne sont même pas de Sony mais malheureusement de notre industrie, qui considère qu'aujourd'hui, notamment en terme de sexe, qu'il y a des choses que l'on ne peut pas faire dans un jeu. Qui sont interdites.
 
Gamalive : Donc pas de sexe avec les enfants, les animaux, rien... ?
 
imageDavid Cage : (Rires) Nous n'étions de toute façon pas dans les extremes sur Heavy Rain. C'est à dire que nous n'étions évidemment pas dans l'idée de faire des gros plans pornographiques ou de faire dans la violence gore. Ce n'est pas ce type de jeu. Mais il y a des choses que nous aimerions pouvoir faire. Aujourd'hui, sur les règles générales de notre industrie, je ne parle pas de Sony mais vraiment du rating, il y a des choses qui font que l'on ne peut pas faire dans un jeu vidéo des choses qui sont parfaitement admises dans des films au ciné interdits au moins de 12 ans. Aujourd'hui, dans un jeu classé moins de 18 ans, on ne peut pas faire ces choses-là. Pour des raisons que moi, personnellement, je ne m'explique pas.
 
Gamalive : Oui. Il suffit de voir la polémique autour de la fameuse "scène de sexe" de Mass Effect.
 
David Cage : Une polémique purement médiatique parce que c'était une tempète dans un verre d'eau. Et je crois que malheureusement, il a un problème de maturité. Et nous, nous nous heurtons à pas mal de problèmes en voulant faire un jeu adulte dans un industrie qui ne l'est pas. Et tout le problème, pour nous est là.
 
Gamalive : Il y a des tensions avec le PEGI ?
 
screenDavid Cage : Non il n'y a pas de tension parce que le rating est nécessaire, utile et heureusement qu'il est là. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il ne faut pas de rating. Par contre, moi je milite activement pour que ce rating commence à être calé sur le rating cinéma et télévision. Tous les gens qui disent "ce n'est pas pareil, c'est intéractif "... Qu'est ce que ça veut dire ça, que c'est intéractif ? Il n'y a pas une étude scientifique dans le monde, aujourd'hui, qui démontre que parce que tu joues à quelque chose, cela a plus d'impact sur toi que parce que tu le vois à la télévision ou tu le lis dans un livre. J'ai regardé attentivement. Il y a des études qui prouvent ça et des études qui prouvent le contraire 6 mois plus tard. Il n'y a pas de consensus. Et pourtant, toute l'industrie a pris ce parti-là en se disant "c'est intéractif,donc il faut protéger les gens". Moi je fais un jeu pour des gens qui ont 18 ans et je considère qu'à 18 ans, on peut tout voir. Ce n'est pas le cas à 12 ans. Ni à 8. Mais on a un jeu qui est classé 18 ans. A 18 ans, je pense que je peux montrer une paire de seins. Je pense qu'on ne va pas provoquer un choc psychologique chez des gens qui ont cet âge. C'est une chose qui est difficile à véhiculer aujourd'hui.
 
Gamalive : Vous êtes plutôt pour une législation plus encadrée ?
 
screenDavid Cage : Je suis pour une législation plus juste. Qui arrête de considérer que les jeux vidéo sont comme de la pornographie ou de la drogue pour les enfants, et qu'il faut les en protéger. Aujourd'hui, les jeux vidéo sont en train de devenir une forme d'expression. Qui mérite le respect.que peut avoir un film cinéma, une émission de télévision ou de la musique, ou ce qu'on veut. Le même respect. Il y a des auteurs derrière. Des gens qui ont envie de raconter quelque chose d'une certaine manière et le respect de leur liberté d'expression est pour moi aussi fondamentale que le respect d'un réalisateur au cinéma. Il n'y a pas de différence. Donc il faut bien définir le contenu, c'est à dire qu'un produit pour des gens de 18 ans ne tombe pas entre les mains d'un enfant de 4 ans. Sur ça, nous sommes clairs. Il n'y a pas d'ambiguïté. Par contre il ne faut pas faire du zèle. Ce qu'on peut voir au cinéma, on devrait pouvoir le voir dans un jeu.
 
Gamalive : Quelle est votre source d'inspiration pour Heavy Rain ?
 
screenDavid Cage : C'est le premier jeu que j'écris qui est basé sur quelque chose que j'ai ressenti ou vécu. Il y a beaucoup de choses un peu personnelles là dedans. Alors quand on regarde l'histoire, je n'ai pas connu de serial killer et je ne suis pas Profiler au FBI. Mais par contre, le vrai sujet du jeu c'est "jusqu'où êtes-vous prêt à aller par amour ?". Et c'est en tout cas une question que je me suis déjà véritablement posé. Je racontais à Cologne avoir perdu un jour mon gamin dans un magasin, et que c'était vraiment les 10 minutes les plus horribles de ma vie. Et je crois que tous les parents à qui c'est arrivé, savent de quoi je parle. Et on se dit "Putain, qu'est ce qu'il se passe si je ne le retrouve pas  ?". Et là, il y a des tas de choses qui se passent dans ta tête et ce sont vraiment des moments que tu n'as pas très envie de revivre. En fait, pour Heavy Rain, ça a vraiment été le point de départ. De me dire, "Qu 'est ce qu'il se serait passé si je ne l'avais pas retrouvé ?". Et rien que d'y penser, d'ailleurs, cela me file la chair de poule. C'est con, mais vraiment. C'est vraiment une chose que j'ai vécu d'une manière extrêmement forte et j'avais vraiment envie de raconter cette histoire qui me tenait à coeur. Et j'aime bien cette question, parce que c'est une question qui n'a pas de réponse. Tu sais. Blanc ou noir. Ce n'est pas une question facile. Est-ce que tu ferais vraiment n'importe quoi par amour ? Est-ce que tu donnerais ta vie ? Est-ce que tu tuerais quelqu'un ? Jusqu'où es-tu prêt à aller ? Cela pose des questions d'éthique. De morale. Des questions personnelles. Et c'est à chacun d'y répondre. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse.
 
Gamalive : On retrouve donc ces choix dans le jeu ?
 
screenDavid Cage : En fait, Heavy Rain est l'histoire de 4 personnages qui vont être confrontés de manières très différentes à cette question et qui vont devoir y apporter des réponses. J'aime assez cet aspect du jeu. C'est vraiment une des choses qui m'intéresse dans ce projet. C'est le fait de considérer le jeu comme un simulateur d'émotions. En fait, tu vas pouvoir répondre à des questions, ressentir des émotions difficiles, compliquées, dans un cadre sans risque. Il ne va rien t'arriver. Et ce sont des questions dont on espère que personne n'aura à se les poser dans la vie. Mais le jeu c'est un environnement confiné et sans risque, dans lequel tu peux vraiment te poser ces questions et te dire "qu'est ce que je ferais si cela m'arrivait ?"
 
Gamalive : Avez-vous pensé à l'avenir après Heavy Rain ? Des vacances de prévues ?
 
screenDavid Cage : Je suis aussi le PDG de Quantic. Donc j'ai une entreprise de 100 personnes. J'ai l'obligation de toujours réfléchir avec 2 ans d'avance par rapport à tout le monde. Parce que les projets sont lents à s'écrire, à se signer, à se prototyper, etc. Donc je suis vraiment obligé d'avoir toujours au moins 1 à 2 ans d'avance sur là où nous en sommes vraiment. Donc oui, il y a un après Heavy Rain. Heureusement. Il y aura évidemment des vacances pour l'équipe. Mais nous allons embrayer très vite sur autre chose. Il n'y aura pas de suite au jeu. Parce que j'essaie de ne pas me mettre dans cette démarche là. J'essaie de raconter ce que j'ai à raconter à un moment donné, ce qui correspond à qui je suis au moment où je l'écris. Mais j'évolue. Je change. Comme tout le monde. Et Heavy Rain correspond à une période de ma vie. Comme Farenheit ou Nomad Soul avant. Après Heavy Rain j'espère être un peu plus loin et voir d'autres choses, avoir envie de raconter d'autres choses. Et ce sera le cas.
 
Gamalive : Que pensez-vous du tout dématérialisé ?
 
screenDavid Cage : Nous sommes très interessés par ce système. Nous sommes intimement persuadés que c'est vers cela que va tendre l'industrie dans les temps à venir. Je pense que c'est un format qui a besoin de trouver sa voie. Qui a besoin de se consolider. Mais je suis intimement persuadé que très rapidement, les gens vont de plus en plus prendre le réflexe d'aller acheter leur soft sur les boutiques en lignes. Le Playstation Store ou autres. Parce que c'est un confort, c'est rapide, c'est instantané. On reste chez soi. Et c'est l'évolution naturelle de tous les médias. On le voit avec la musique. On le voit sur le cinéma avec la démocratisation de la VOD. On le voit maintenant sur la télévision avec le podcast. C'est une tendance qui est naturelle et le jeu vidéo doit être en pointe de cette évolution là.
 
Gamalive : Quels jeux attendez-vous pour la fin de l'année ou le début de l'année prochaine ?
 
screenTrès honnêtement, le seul jeu que j'attends est le prochain jeu de Fumito Ueda (ndr : Shadow of the Colossus). Il y a des tas de jeux que je trouve très sympas, visuellement, et auxquels je vais jouer deux heures et je vais bien m'amuser, mais le seul où j'attends impatiemment de voir ce qu'il a eu comme idée et comment il va me surprendre, c'est lui. Je sais qu'il va venir à un endroit où je ne l'attends pas. C'est un des rares auteurs dans notre industrie capable de ça. Maintenant, des claques graphiques, on va en prendre, des jeux d'action extraordinaires, des jeux de bagnoles, des jeux de sport, il va y en avoir, j'y jouerai, mais honnêtement, je n'en attends rien et je ne pense pas que c'est ça qui va me donner le frisson, alors que maintenant, c'est vraiment ça que je cherche. Je ne cherche plus des "jouets", des passe-temps ou des défouloirs, je cherche quelque chose, comme pour les films, au cinéma, qui va me faire ressentir des choses devant ma télé, devant un écran. Je suis allé voir dernièrement au cinéma Inglorious Basterds, le dernier Tarantino... quelle claque ! On ressort du cinéma, on a pris une claque, on a pris une leçon, on est passé par tout un tas d'émotions. Juste avant j'avais vu Là-Haut, le dernier Pixar, c'est la même catégorie : extraordinaire, leçon de cinéma, leçon d'émotions, leçon de vie. Et je cherche des jeux qui vont se hisser à ce niveau-là et j'espère qu'il y en aura de plus en plus car aujourd'hui, il y a trop de jeux "jouets".

 

 
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