Publié le Dimanche 29 septembre 2013 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Envie de mordre

« Bonjour madame,
- Bonjour, je vous sers quoi ?
- Deux têtes de nègre s’il vous plait. »
(regard inquiet de la boulangère, regards choqués des clients derrière moi)
- Deux quoi ?
- Ben deux têtes de nègre, quoi…
- Vous voulez dire deux « MERINGUES AU CHOCOLAT ».
- Ouais. C’est ça. Deux meringues au chocolat…
- Tout de suite monsieur.
- …en forme de tête de nègre.
- …
- Suis désolé, hein. Je n’en ai pas pris depuis… pfff… au moins tout ça, quoi. J’en mangeais étant minot. Là c’est pour faire découvrir à mes filles. A l’époque, la boulangerie dessinait même des yeux et une bouche en pâte d’amande colorée dessus. Du coup, j’ai gardé le nom « tête de nègre » dans la tête. Désolé si ça vous a choqué.
- Je vous en prie. Je vous sers quoi d’autre ?
- Une cornette.
- Pardon ?
- Ah ben oui, tant qu’à faire, autant y aller dans les noms bizarres, hein. Une religieuse, si vous préférez. Mais on appelle ça aussi une cornette, rapport au cornet qu’elles ont au-dessus de la tête, vous voyez. Et je prendrais un Paris-Brest également.
- Et vous lui donnez un nom particulier, au Paris-Brest ?
- Non. A la limite, on peut parler d’un Paris-Bouseux… parce que bon, hein… la Bretagne…
- Vous savez que ma famille est bretonne ?
- Non. Mais du coup je comprends mieux… »

Franchement, ça me saoule cette bienséance pédante et hautaine. Je sais, je me répète. Mais je m'en fous. Cette mode de la moralisation à outrance. « Interdit d’appeler un dessert tête de nègre parce que ça a une connotation raciste » me gonfle sévère. Encore et toujours. Du coup, se « cogner le petit juif » (ndr : nerf à la pointe du coude), c’est aussi proscrit ? Et se taper une tranche de Jésus (ndr : saucisson lyonnais) avec du pain, c’est péché ?

Tout a commencé avec la loi Evin, de toute manière. La loi Evin a signé le début de l’interdiction de penser par soi-même. Elle a déclaré que les gens étaient définitivement trop cons pour comprendre seuls les choses, pour affronter seuls la réalité et les conséquences de leurs actes. La restriction de faire de la publicité pour le tabac et l’alcool, notamment – et surtout – à la télévision. Pour ne pas « tenter » les jeunes.
Force est de constater que 20 ans après, c’est un échec total. Les jeunes se biturent de plus en plus tôt, et avec si possible des alcools forts. Pire. Ils sont devenus des purs produits de la malbiture (on parle de malbouffe, pourquoi pas de malbiture, hein ?), à réclamer des vodka-Red Bull au lieu de se pâmer devant un whisky pur malt ou une bouteille d’un grand vin. Ok, ce n’est pas le même prix. Mais le plaisir d’un divin nectar ne vaut-il pas mille fois l’immondice d’une boisson gerbante ultra-sucrée et fabriquée à base de couilles de taureau que ne boiront que de jeunes veaux plus proches du bœuf que du fier animal défendant sa vie dans l’arène ?
Je ne dis pas que la loi Evin dans son ensemble est une erreur, notez bien. L’interdiction de fumer dans les établissements publics fut une excellente chose. Je milite même pour qu’elle soit prolongée et que l’on interdise également la cigarette dans les lieux publics, quels qu’ils soient, même en extérieur. Et ce n’est même pas une simple envie de faire chier les fumeurs, notez bien. Juste une envie de protéger les non-fumeurs à qui désormais les terrasses des cafés sont interdites sous peine d’inhaler au moins 10 clopes en moins d’une demi-heure.
Je sais. Les fumeurs vont hurler à l’infamie. Et dire qu’on leur en veut, qu’on ne cesse de les « emmerder ». Mais hé, les mecs, qui a commencé en nous envoyant votre fumée dans la tronche, mmh ? Le type qui vous sort « j’suis dehors, je fais ce que je veux » quand vous lui demandez de faire attention à sa fumée qui indispose vos enfants, dont une asthmatique, vous avez le droit, dit, de lui éclater une chaise dans les dents ?
Ces mêmes types qui ont commencé à fumer « pour faire style », parce que ça donne « la classe » et une certaine contenance. Et qui finissent avec une cigarette électronique, symbole de la ringardise et du ridicule. Ah mais si. Ne cherchez pas, hein. La cigarette électronique, c’est peut-être moins nocif (et encore, ça reste à prouver), c’est peut-être moins cher, mais qu’est-ce que tu as l’air con avec ça dans les mains…

Et ne faites pas vos chochottes, hein (ah oui, pardon, ça non plus on n’a plus le droit de le dire). Parfaitement. La vodka-Red Bull, c’est dégueulasse. C’est du même niveau qualitatif que le vin en bouteille en plastique. C’est la boisson du clodo boutonneux, en quelque sorte. Ah oui, ça non plus, le terme de « clodo », on n’a plus le droit de le dire. On parle de « SDF ». Bien hypocritement, d’ailleurs, parce qu’au cas où vous n’avez pas remarqué, ce ne sont pas des « Sans-Domicile Fixe ». Mais des « Sans-Domicile » tout court. Ou on parle de « Démunis ». C’est bien, ça, « démuni » comme terme. Ça fait limite compatissant. Personne au grand cœur qui est touché par leur détresse. Bon. Ça lève la tête quand ça en croise un, voire ça change de trottoir. Mais ça fait bien quand même « démuni », comme terme. Je hais la vodka-Red Bull, de toute manière. Je hais les boissons énergisantes, quelles qu’elles soient. C’est à mes yeux l’un des évidents symboles d’une génération de débiles élevés à la merde et qui n’ont plus aucune valeur gustative.

Il fallait s’y attendre, cela dit. Avec l’avènement des plats préparés. Ces parents qui salivent devant Top Chef mais ne sont pas foutus de nettoyer des moules. Et qui préfèrent expédier le dîner en réchauffant une saloperie pleine de sels et conservateurs, et ainsi avoir plus de temps pour vénérer n’importe quelle pouffe incapable d’aligner deux mots cohérents et qui est une insulte vivante au Bescherelle. Non mais allo, quoi.
Tiens, moi, ce midi, c’est Pommes de terre à la poêle, et confit de canard. Prix du plat : moins de 4 € par personne. Sachant que le confit a été acheté chez un boucher. Un vrai boucher. Un artiste. Je le sais, la découpe de bidoche, ça me connait. Et lui aussi, je peux en témoigner. Mais bref. Résultat, un plat de Roi pour le même prix qu’un plat de merde en supermarché.

Sur ce, je vais m’arrêter là. C’est mauvais pour ma tension, de m’énerver comme ça. Le monde est foutu et puis c’est tout. Faut se faire une raison. J’vais aller jeter des cailloux aux jeunes cons qui trainent dans la rue pour me détendre un peu. J’aime bien ça, leur jeter des cailloux. Des gros. Bien pointus. Qui font bien mal. Parce qu’en plus, j’ai fait du hand. Alors je lance fort. Et loin.

Allez tous mourir.

Ah, et pour ceux qui me demandent pourquoi je n’ai pas parlé dans mon dernier édito et pourquoi je ne parle pas non plus dans celui-ci de « celle-dont-on-ne-doit-plus-prononcer-le-prénom » (je vous ai déjà parlé d’elle ?), c’est parce qu’elle a décidé, en compagnie de mon épouse, d’écrire l’édito du 13 octobre, date de mon anniversaire. Et par représailles (je sais que je vais manger sévère), j’ai décidé de la boycotter jusque-là. Parfaitement. Non mais. C’est qui le patron. Merde alors.