Publié le Dimanche 6 novembre 2011 à 12:00:00 par Cedric Gasperini

 

L'Edito du Dimanche

Le test de Call of Duty Modern Warfare 3...

Eté 2062
Le Ruisseau Vif
Résidence pour retraités.
10h28

Vincent : Tiens, salut Cedric. Toujours sur ton banc ! Ah ! Alors, comment vas-tu ?
Cedric : Mmmmf
Vincent : T’as encore mis ton dentier à l’envers, j’comprends rien !
Cedric : Mmmmf… slurch… chlof… Ah. Voilà. C’est mieux. Miyards !
Vincent : Ah, t’as encore lu ton vieil auteur de fantasy, là, comment il s’appelle… Terry Pratchett !
Cedric : Tu parles, à mon âge, on n’est plus capable de lire tout seul. Nan, c’est l’infirmière qui me l’a lu.
Vincent : Laquelle ? La petite rousse pas vilaine à reluquer ?
Cedric : Oui, celle-là. L’autre n’est pas vilaine non plus, mais uniquement quand on oublie de remettre ses lunettes. Elle est gentille la petite rousse. En plus, quand j’y pince les fesses, elle ne se fâche pas. Elle glousse et elle me dit que ce n’est plus de mon âge. Tu parles. Aujourd’hui, avec les médicaments qu’on a, faudra limite prévoir une bosse à ce niveau pour mon cercueil, tiens.
Vincent : Ha ha ha.
Cedric : Mais bon, c’est une notion abstraite pour toi…
Vincent : On va pas revenir là-dessus, hein. Ça fait 50 ans que je pratique l’abstinence. Et je le vis très bien.
Cedric : Je te rappelle que ta chambre est à côté de la mienne. Et que je t’entends pleurer tous les soirs depuis 10 ans.
Vincent : Non, c’est la télé.
Cedric : Bien sûr.
Vincent : Je te jure. Et comment va ta femme, sinon ?
Cedric : Comme d’habitude. Elle m’engueule pour un oui ou pour un non. Et avec Alzheimer, elle m’engueule deux ou trois fois pour les mêmes trucs, maintenant.
Vincent : Ouais mais elle a toujours une bonne raison, faut dire…
Cedric : Pas du tout ! Ce matin, j’ai eu droit à une crise, je te le donne en mille, juste parce que je pissais dans le lavabo de la cuisine.
Vincent : Oui, une femme, ça n’aime pas ce genre de truc.
Cedric : Qu’est-ce t’en sais, toi ?
Vincent : Ben je suppose, c’est tout.
Cedric : En fait, ce qui l’a surtout fait râler, c’est qu’elle y avait mis la purée à refroidir.
Vincent : Ah oui, forcément… Et sinon, toujours fâché avec tes filles ?
Cedric : Ouaip. Aujourd’hui elles viennent voir leur mère, alors je passe la journée dehors.
Vincent : Tu pourrais faire un effort et tenter de vous réconcilier, quand même. Ce sont tes filles.
Cedric : Tu sais très bien ce qui s’est passé. Elles ont épousé des cons. J’ai pris sur moi trop longtemps, alors un jour, ça a explosé.
Vincent : Je croyais que vous vous étiez fâchés le premier jour où elles te les ont ramenés à la maison ? Genre arrivée à 16h et juste avant le dîner, hop, l’accident.
Cedric : C’est ce que je dis. J’ai pris sur moi trop longtemps.
Vincent : Enfin tu avoueras que briser les deux jambes d’un type avec une cuillère, c’est pas banal non plus. Y’a de quoi être fâché. Et l’autre, qu’est-ce tu y’avais fait déjà ?
Cedric : Pété les dents à coups de canette.
Vincent : Ah oui…
Cedric : Ouais mais note que j’avais pris une canette promotionnelle de Battlefield 16* remplie de Black Bull**. Alors ça voulait quand même dire que je l’appréciais, le p’tit gars.
Vincent : Pas sûr qu’il l’ait pris comme ça…
Cedric : Chais pas, y’m’la jamais dit, il a pas pu parler pendant trois mois.
Vincent : Heureusement que le préfet était un lecteur assidu, remarque, sinon c’est ptêt au parloir que j’te parlerai… Tu le vois encore, d’ailleurs, ce type ?
Cedric : Non, tu penses. Vu qu’après m’avoir fait acquitter, j’ai balancé un édito pour dénoncer la corruption dans la Police et qu’il a été muté en Creuse.
Vincent : Ah oui, j’m’en souvenais plus. Ma mémoire me joue des tours, parfois.
Cedric : Bah, on est tous dans le même cas. Moi aussi j’ai mes absences.
Vincent : Comme hier quand t’as embrassé la petite jeune de la supérette et qu’tu l’as appelé comme ta femme ? Elle doit te prendre pour un gros cinglé.
Cedric : Ha ! Rien à voir ! La petite jeune, j’y fais le coup deux trois fois par semaine. Elle croit que j’suis ravagé d’la carafe alors elle n’ose pas trop râler. Et moi, ça m’gêne pas de passer pour un débile si j’peux toucher du nichon bien ferme en allant acheter mes boites de raviolis.
Vincent : Ah ouais, malin. J’y aurais pas pensé, tiens.
Cedric : Non, ça, ça m’étonne pas.
Vincent : Des nouvelles de la vieille équipe ?
Cedric : Ben non. Tu t’souviens bien…
Vincent : Non.
Cedric : Bon, tu sais déjà qu’Geoffroy nous avait quitté parce qu’il avait rencontré une vieille avec 3 mômes.
Vincent : Ouais, il a vécu une sorte de vie affective en forme d’aide sociale.
Cedric : Voilà. Il a toujours été attiré par les p’tits vieux, de toute façon. Ensuite, y’a Maxime qu’est parti pour monter sa boîte.
Vincent : Et qu’on a recroisé deux ans après sous l’pont neuf.
Cedric : Nan, c’était d’vant l’parking des Halles qu’y faisait la manche. Jamais r’vu depuis. Mais j’y avais quand même balancé un ou deux coups d’pieds en souv’nir du bon vieux temps. Ensuite y’a Pierrot.
Vincent : Portal ?
Cedric : Ouaip. L’a eu son premier rapport sexuel à 42 ans. L’cœur a pas t’nu. Je m’souviens encore d’son enterrement. Ça fait désordre un macchabé avec un sourire jusqu’aux oreilles quand tout le monde chiale autour.
Vincent : Et Alexandre ?
Cedric : Combralier ? Accident.
Vincent : Voiture ?
Cedric : Non. De poisson. S’était reconverti dans la sardine, vu qu’il habitait à Marseille. Et l’est mort suite à un pari stupide que j’y avais fait, qu’y s’rait pas capable de gober une sardine toute crue.
Vincent : Il l’a avalée de travers ?
Cedric : Non, l’a confondu sardine et thon. Ça fait pas la même taille… Et puis voilà, on a fait l’tour.
Vincent : Ouaip. Ressasser les vieux souvenirs, ça me fait penser à l’autre, là. Tu sais, on était parti chez les Boches avec. Sur le salon. Il s’était fait larguer par sa copine au retour mais a continué à vivre 3 mois chez elle après, à dormir au pied d’son lit, à gratter à la porte de la salle de bains…
Cedric : Tristan !
Vincent : Oui, voilà, Tristan !
Cedric : Tristan. Triste histoire.
Vincent : Ouaip. Viré de l’appart de sa copine. Et puis la sortie de Call of Duty Modern Warfare 3. Il s’est suicidé la même semaine, si je me souviens bien.
Cedric : Oui. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il était fan de Battlefield 3 et Call of Duty. Les deux séries, même s’il avait une préférence pour Battlefield, à la base. Mais il aimait les deux. Passionnément. Et quand mon test de Call of Duty Modern Warfare 3 est paru le 8 novembre 2011, à 09h01 précise, il a eu un coup au moral. Puis j’ai sorti un test multijoueur le lendemain midi. Le 09 novembre. Et ensuite, carrément un comparo « Battlefield 3 vs Call of Duty Modern Warfare 3 » le jeudi 10. M’en souviens bien. Et vu ce que j’en écrivais, il a pas supporté la pression. S’est suicidé. C’était pas beau à voir.
Vincent : Comment il a fait son compte, déjà ?
Cedric : S’est jeté d’un pont sur le périph.
Vincent : Ah oui. Ecrasé par un camion, non ?
Cedric : Non, l’a raté son coup. L’est tombé dans un trente-huit tonnes qui transportait des cochons sauvages.
Vincent : Pov’ gars.
Cedric : Ouaip. Le légiste a dit qu’il avait été sodomisé à mort par un sanglier. L’avait pris pour une laie.
Vincent : Je me souviens maintenant. Tu avais palé du film Delivrance lors de son oraison funèbre. Je me souviens de la crise de rire dans l’église en te voyant hurler « fais le cochon ! Fais gruiiiii ! » devant le cercueil.
Cedric : Ouais. Ses parents avaient apprécié moyen, si je m’souviens bien. Enfin…
Vincent : C’était l’bon temps, ça.
Cedric : Ouais. Bah, on en a encore des bons nous aussi. Tiens viens, on va emmerder les p’tits jeunes de la MJC en les mettant minables à Street Figter XVI.
Vincent : Faut dire, avec mon début de Parkinson, je suis imbattable.



* Nous sommes en 2062, je vous le rappelle.
** Nous sommes en 2062, je vous le rappelle encore une fois.